Pour un journalisme à l’état sauvage
Face à l'affadissement de la production journalistique, Jean-Christophe Féraud invite ses confrères à réinjecter de la passion, de la rage dans leur métier, pour mieux rendre compte du réel.
“En  vérité, je vous le dis, il faut aller au-delà du journalisme, retrouver  la puissance brute des mots, être sauvage. Le journalisme standardisé tel qu’il se pratique  aujourd’hui ne suffit plus à décrire le réel dans sa morne et bête  brutalité”… Je devais être dans un mauvais jour, l’autre jour,  quand j’ai tweeté ces quelques mots rageurs en deux fois 140 signes. Je  pensais au journalisme comme Cioran pensait à la littérature en écrivant : “Je rêve  d’une langue dont les mots, comme les poings, fracasseraient les  mâchoires” (merci à @CapAlexandre qui m’a rappelé  cette citation lors d’un échange sur notre site de micro-blogging  préféré). Je pensais aussi à cette Twitstory de l’ami @christreporter : “Nous ne sommes pas nés pour être domptés.  Nous sommes des bêtes sauvages qui savent jouer les animaux dociles”. Cela  vaut pour le journalisme ici et maintenant, me disais-je.
Encore un de ces pronunciamento dont j’ai le  secret qui ne va pas arranger mon e-reputation de Matamore de la presse.  Peut-être… Mais en y réfléchissant à deux fois, je me suis rendu  compte, qu’au fil de mes tweets et billets de blog, je creusais avec  acharnement, et depuis des mois, le même sillon pour y planter le germe  de cette Idée Rousseauiste qui tournait en boucle dans ma tête :
“Aller au-delà du  journalisme standardisé, retrouver la puissance brute des mots,  retrouver l’état sauvage pour décrire la brutalité du réel”. 
 J’entends déjà les ricanement des professionnels  de la profession : encore un écrivain raté qui estime avoir fait le tour  du métier ! Et les railleries des jeunes journalistes affamés : encore  un aristocrate de la vieille presse qui fait mine de vouloir secouer le  cocotier sans renoncer à sa rente…  Ne disait-on pas déjà  au temps d’Honoré de Balzac que le  journalisme est une profession de  dilettantes et de parasites,  pratiquée par ceux qui ne savent rien faire  d’autre ? Peut-être. J’en accepte l’augure. Une chose est sûre, le  journalisme tel que je l’ai appris, tel que je l’ai connu et pratiqué  dans les années 90, est bel et bien mort et enterré.
J’entends déjà les ricanement des professionnels  de la profession : encore un écrivain raté qui estime avoir fait le tour  du métier ! Et les railleries des jeunes journalistes affamés : encore  un aristocrate de la vieille presse qui fait mine de vouloir secouer le  cocotier sans renoncer à sa rente…  Ne disait-on pas déjà  au temps d’Honoré de Balzac que le  journalisme est une profession de  dilettantes et de parasites,  pratiquée par ceux qui ne savent rien faire  d’autre ? Peut-être. J’en accepte l’augure. Une chose est sûre, le  journalisme tel que je l’ai appris, tel que je l’ai connu et pratiqué  dans les années 90, est bel et bien mort et enterré. 
Fini l’artisanat de la plume et le temps des bouclages enthousiastes, fini le temps donné au temps de l’enquête et de  l’écriture, la défiance naturelle vis-à-vis des pouvoirs et de leurs  communiquants, exit le sens du collectif et la fierté de la carte de la  presse… place aux forçats du web et aux entreprises à produire de l’information standardisée  “déclinable sur tous les supports” comme disait l’autre. D’autres que  moi, avant moi, à commencer par l’intransigeant Narvic,  ont fait le même constat amer à mesure que nos grands journaux réduisaient leurs  effectifs à tour de bras, se transformaient en entreprises à produire de  l’information standardisée, devenaient des “marques” sans âme et sans  histoires au propre et au figuré… sans pressentir une seconde la fin de  leur monde de papier.
Plutôt que d’investir des millions dans des  imprimeries et des nouvelles formules comme autant de batailles de  retardement désespérées, ces fleurons de la presse hexagonale auraient  mieux fait d’aller à la rencontre de leur lecteur 2.0, d’inventer de  nouvelles formes de journalisme en ligne, de valoriser les jeunes  journalistes web au lieu de les transformer en OS de l’info, de s’ouvrir  à la formidable richesse de la blogosphère…Bref d’apprendre à surfer  sur le grand Tsunami numérique pour ne pas faire naufrage. Mais c’est  une autre histoire que j’ai déjà raconté ici.
“Ce journal sera comme une embuscade dans la jungle de l’information”
 Et il vaut mieux regarder devant, aller de  l’avant. Les vieux journaux de  l’ère Gutenberg qui n’auront pas su  s’adapter  sont sans doute  voués à l’extinction, comme des Newsosaures. Mais le journalisme, lui, n’est pas mort. Encre  et papier ou flux numérique sur tous les écrans, qu’importe le support.  Le besoin d’information, de lire et raconter des  histoires pour traduire le réel, garder et transmettre la mémoire,  construire l’histoire, est un besoin essentiel depuis que l’homme est  homme. Le journalisme n’est pas mort. Il est juste malade, saisi  de torpeur et de paresse, gagné par la résignation à l’image de la  société. Le journalisme n’est pas mort, il a juste besoin d’un  électrochoc… de se mettre en danger, de revenir un peu à cet état  sauvage de la révélation, de la dénonciation, de la verve et du mot que  l’on ne trouve plus que dans les marges du métier. Chez les  franc-tireurs du journalisme en ligne (Mediapart, Rue89, Electron Libre…), chez les  explorateurs des nouvelles frontières de l’information numérique (OWNI),  dans quelques revues (XXI).  Et sur certains blogs de journalistes, encartés ou non. Ces interzones  de la contre-culture journalistique où l’on invente et réinvente la  manière d’informer, de raconter, de témoigner envers et contre le  renoncement ambiant.
Et il vaut mieux regarder devant, aller de  l’avant. Les vieux journaux de  l’ère Gutenberg qui n’auront pas su  s’adapter  sont sans doute  voués à l’extinction, comme des Newsosaures. Mais le journalisme, lui, n’est pas mort. Encre  et papier ou flux numérique sur tous les écrans, qu’importe le support.  Le besoin d’information, de lire et raconter des  histoires pour traduire le réel, garder et transmettre la mémoire,  construire l’histoire, est un besoin essentiel depuis que l’homme est  homme. Le journalisme n’est pas mort. Il est juste malade, saisi  de torpeur et de paresse, gagné par la résignation à l’image de la  société. Le journalisme n’est pas mort, il a juste besoin d’un  électrochoc… de se mettre en danger, de revenir un peu à cet état  sauvage de la révélation, de la dénonciation, de la verve et du mot que  l’on ne trouve plus que dans les marges du métier. Chez les  franc-tireurs du journalisme en ligne (Mediapart, Rue89, Electron Libre…), chez les  explorateurs des nouvelles frontières de l’information numérique (OWNI),  dans quelques revues (XXI).  Et sur certains blogs de journalistes, encartés ou non. Ces interzones  de la contre-culture journalistique où l’on invente et réinvente la  manière d’informer, de raconter, de témoigner envers et contre le  renoncement ambiant.
“Ce journal  sera comme une embuscade dans la jungle de l’information”,  proclamait le manifeste proto-Mao de Libération à la naissance du  journal en 1973. Tout un programme que je fais mien (le maoïsme de  l’époque en moins). Quand ma journée de journaliste officiel est  terminée, je quitte mon costume raisonnable et je redeviens un peu  sauvage sur ce blog. Je ne crache pas dans la soupe qui est plutôt bonne  dans mon journal, je suis plutôt fier de mon travail en équipe, heureux  de tomber la copie et sortir mes pages jour après jour. Mais comme  beaucoup, j’ai un besoin d’un Ailleurs, d’autre chose en matière de  pratique et d’écriture journalistique.
Appelons cela Gonzo, post-journalisme, journalisme subjectif ou littéraire, ou bien journalisme du réel comme on dirait cinéma du réel… comme vous voulez. C’est très présomptueux. Mais je pense juste que mon plaisir d’écrire sur le monde qui nous entoure en cassant les codes habituels peut rencontrer plus intensément celui du lecteur. Que ce lecteur, sans toujours le savoir, a envie d’autre chose que cette malbouffe informationnelle qu’on lui sert tous les jours à la cantine des journaux et sites Internet standardisés. Que le journalisme est avant tout un métier de l’offre et non de la demande. “Il y a les journalistes qui s’intéressent à ce qui intéresse le public et ceux qui intéressent le public à ce qui les intéresse. Ce sont les grands”, écrivait Gilbert Cesbron.
Aventurez-vous dans les marges du web
À l’inverse, avec un peu d’entrainement, le  journalisme standard ce n’est pas sorcier.  Pour choisir son sujet,  il y a le fil de l’AFP et les sollicitations constantes des services de  presse qui ont bien compris qu’un article téléphoné valait moins cher  qu’une page de pub. Pour avoir un scoop comme on obtient un nonos, il y a les incontournables sources “autorisées” et  autres “story tellers”. Deux, trois coups de fil pour vérifier et c’est  parti. Écrire un article  pour être lu comme on dit au CFJ ce n’est pas compliqué en soi : une  accroche poncif, on répond aux cinq ou six “W” (Qui, Quoi, Où, Quand,  Comment ? Pourquoi ?), on construit son papier en pyramide inversée (du  plus important au détail) comme on l’a appris à l’école, une chute  poncif et hop c’est plié ! À la télé, à la radio, où l’on puise ses  sujets dans les journaux c’est la même chose, toujours les mêmes  lancements, l’absence de risque et d’originalité.
Alors j’ai envie de dire aux jeunes (et vieux)  journalistes qui veulent tenter autre chose, à tous ceux qui en ont  encore la force et l’envie : s’il vous reste un peu d’énergie le soir,  la nuit et le week-end, et surtout si vous n’espérez pas  en vivre, aventurez-vous dans les marges du web et de la blogosphère  pour écrire comme vous le sentez, prenez la balle de l’actualité  comme elle vient et tapez ! Don’t  hate the media, be the media ! N’écoutez plus les raconteurs  d’histoire, quittez vos postes de travail scotchés, sortez dans la rue,  allez à la rencontre des gens, des faits, du réel, redevenez témoins,  fiez vous à vos yeux, à vos oreilles, à votre jugement…
Ensuite écrivez non seulement pour être lu, mais  aussi pour faire plaisir à votre lecteur et vous faire plaisir : jouez,  dansez avec les mots comme un Shaman indien à la manière d’un Hunter S.  Thompson, ou bien soyez aussi précis et professionnel qu’un journaliste  du New York Times… Qu’importe le style du flacon du moment que vous  faites passez l’ivresse du moment. Mais restez toujours fidèles aux faits et  témoignez du réel. C’est l’essence du métier. Soyez impressionnistes  ou hyperréalistes, mais appelez un chat un chat, une chatte une chatte,  un pauvre un pauvre, une injustice une injustice, un escroc un escroc. Bref, soyez sauvages, aventureux, aventuriers, prenez des risques et ne  prenez pas le lecteur pour un con, il vous en sera reconnaissant. Et  qui sait, vous ferez peut-être entendre votre petite voix discordante  dans le ronronnement ambiant. Et participerez, à votre manière, à  la révolution de l’info de demain. Il arrive parfois qu’un bon papier  se transforme en pavé lancé dans la mare aux vieux canards.
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Billet initialement sur Mon écran radar
Image CC Flickr Tambako the Jaguar, Okinawa Soba et jonandsamfreecycle

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