Le trac électoral de l’Hadopi

2012 se fera avec la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi), c'est du moins le rêve de ses membres, et le principal enseignement de son dernier rapport d’activité.

La Haute autorité pour la diffusion des Å“uvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) veut surtout survivre à l’élection présidentielle. Et s’évertue dans son rapport d’activité, avec une lourdeur à peine retenue, à promouvoir des engagements de campagne. À la lire, exit l’aspect répressif, l’Hadopi voudrait endosser le rôle de gardienne officielle du net.

Naturellement, dans ce document, l’institution insiste sur des chiffres et des taux, comme ces 500 000 recommandations envoyées à des abonnés peu scrupuleux, ou ces “4 ‘chats’ effectués avec les internautes”. Mais l’essentiel, comme souvent, est en filigrane.

“Rendez-vous en juin 2012″

Un peu à l’image de la “réponse”, graduée, le titre de l’édito de Marie-Françoise Marais (MFM), la présidente de l’Hadopi, est “subtil”. En donnant “rendez-vous en juin 2012″, MFM promet de se retrouver un mois après mai 2012. Soit un mois après l’élection du nouveau président. Car forcément, l’Hadopi sera encore là.

MFM l’explique bien : 2010 et 2011 n’ont été que les “premiers jalons de l’encouragement au développement de l’offre légale”. Les “douze mois à venir permettront de consolider et d’élargir les résultats d’ores et déjà obtenus.” Et d’enfoncer le clou :

Au simplisme des solutions toutes faites, nous opposons la rigueur d’un travail de fond réalisé dans la durée.

Là encore, subtil tacle aux partis décidés à se débarrasser de la Haute Autorité. Ambition affichée du côté du PS, les intentions sont moins claires du côté de la majorité, qui rechigne à parler de l’avenir de l’Hadopi. Introuvable dans les pages du programme numérique de l’UMP, la thématique s’est vue reléguée à la Convention Culture du parti. Dont la proposition de taxer les fournisseurs d’accès à Internet, proposée fin septembre, s’est finalement vue démontée par Laure de La Raudière, secrétaire du parti en charge du numérique. La boucle est sans fin et les têtes de l’Hadopi le savent : embourbés dans le bouzin depuis deux ans, ils font logiquement valoir qu’ils sont les plus à même de trouver une solution viable à la valorisation de la création diffusée sur le net. Ce qui n’est pas sans quelques ajustements.

Adieu Père Fouettard, bonjour liberté !

Nouveaux maîtres mots de l’autorité, le “long-terme” et la “durée” ont un autre avantage : ils portent l’attention vers l’avant et font oublier le passé. Effet commode qui atténue (jusqu’à sa disparition ?) le caractère répressif de l’Hadopi, qui oeuvre clairement à se distancer de la machine à gaz riposte graduée et de son bras armé, la Commission pour la Protection des Droits (CPD).

De l’avis de son secrétaire général Éric Walter, “la réponse graduée ne saurait, à elle seule, remplir la mission de protection des droits sur Internet”. Et ne constituerait qu’un “rappel à la loi massif”. Bien entendu, le service après-vente se poursuit : cette riposte devenue réponse est “bien installée”, “bien acceptée” et fonctionnelle. Mais reste inadaptée, tant aux pratiques des internautes, telles le streaming ou le direct download, qu’aux “attentes de certains créateurs”. Mieux vaut donc passer rapidement dessus pour valoriser le “travail approfondi et d’analyses” de l’Hadopi, notamment au sein des Labs.

Les autorités en fusion

Qui dit transformation, dit nouveau champ de compétences. Et en valorisant le travail des Labs, l’Hadopi place d’emblée ses pions pour l’après-2012: “l’émergence des TV connectées”, ou bien encore les “questions de filtrage ou de blocage qui “soulèvent tant de questions en terme de libertés publiques”. Des thématiques auxquelles l’institution était jusqu’à présent peu familière, insistant davantage sur l’envoi des mails aux contrevenants ou la mise en place d’une offre légale. Des thématiques qui viennent alimenter le rôle que souhaite tenir l’Hadopi : celui de gardienne du net français.

Sur ce point, son secrétaire général se montre très clair :

Autorité publique indépendante, unique institution française exclusivement dédiée à l’Internet, l’Hadopi aborde son deuxième exercice avec sérénité, conviction et le souci d’enrichir continûment sa compétence.

En se positionnant de la sorte, l’Hadopi donne corps à un véritable serpent du mer de la régulation du net : la fusion des autorités en charge de la question. Le rapprochement du CSA (Conseil Supérieur de l’Audiovisuel), de l’Arcep (Autorité de Régulation des communications électroniques et des postes), de la Cnil (Commission nationale informatique et libertés) et donc de l’Hadopi est abordé à mots à peine couverts par Eric Walter :

Aux approches “réseaux”, “contenus” ou “libertés” pré-existantes, elle apporte le complément indispensable d’une approche globale fondée sur la compréhension et la pratique de l’Internet et de ses utilisateurs.

On attend les réactions de l’Arcep, du CSA et de la Cnil, auxquels le secrétaire général de l’Hadopi fait respectivement allusion.
Du côté de l’UMP et du PS en revanche, on confirme déjà que la question d’une fusion est examinée de près.

Opé’ com’ réussie?

L’installation au forceps dans le paysage réglementaire français de la Haute Autorité ne fait plus débat. Sa légitimité et son institutionnalisation semble confirmées par l’éditorial du Monde du 30 septembre. Intitulé: “Hadopi: attendre avant de cliquer ‘poubelle’”, il reprend un certain nombre des éléments de langage de la Haute Autorité, avant de conclure:

Les technolâtres, as du clavier et rois du téléchargement clandestin, y voient une démarche ringarde qui ne tiendrait pas compte de la singularité absolue de l’Internet. On serait en présence d’une technologie dont la nature même devrait la dispenser de toute tentative de contrôle.
Comment s’y résoudre ? Patientons encore avant de juger le travail de régulation de l’Hadopi. En attendant, elle est un outil intéressant – certes un peu cher – de connaissance du Net.

Patience, donc. Et rendez-vous en juin 2012, puisqu’on vous le dit. D’ici là, nul doute que la “minorité active [qui] s’estime devoir être en opposition frontale avec l’institution [et] revendique le droit de ne pas respecter la loi” continuera à trouver des moyens de contourner la Hadopi, ne serait-ce que par l’utilisation du streaming.
C’est d’ailleurs l’un des enjeux dont se sont saisis les “Labs” de l’Hadopi, ces “ateliers collaboratifs” constitués d’experts et particulièrement mis en avant tout au long du rapport (69 occurrences).

Une promotion faite à un nouveau mode de régulation censé être plus en phase avec les usages du réseau, et qui permettrait là encore de préparer l’avenir de la Haute Autorité. Cette volonté de renier le péché originel qui a présidé à la création de l’Hadopi se retrouve également dans la conclusion de son bilan d’activité :

Sur la durée, seule une institution dédiée peut conduire un tel travail. Avoir permis qu’une telle institution existe est sans conteste le très grand mérite de la loi création et Internet qui, partant d’un constat, a à la fois posé les jalons des premières solutions mais surtout installé l’outil qui permettra de les faire évoluer en tenant compte des transformations à l’œuvre.

Et pour les 20 à 60 personnes concernées pour l’instant par la troisième étape de la riposte graduée, ce sera aux tribunaux de dire le droit.


Crédits photos CC FlickR par erinblatzer

Laisser un commentaire

Derniers articles publiés